Ce nouvel appareil photo n’est pas pour vous !
En voyant le titre, vous vous êtes dit : « oh non, encore un article sur le matériel qui sera périmé la semaine prochaine ! »
Détrompez-vous, car même si je fais référence ici au Sony A7 IV qui vient de sortir, l’article sera encore valable avec le nom de son successeur. Ne partez pas :)
Le sujet du changement de matériel est très simple au premier abord : soit j’achète ce nouvel appareil, soit je ne l’achète pas. Dans le premier cas, j'ai moins d'argent sur mon compte en banque et un nouvel outil qui va - je l'espère - résoudre des frustrations (qualité d'image, montée en ISO, prise en main, etc).
En fait, il suffit de creuser un peu pour constater que c'est un peu plus complexe que ça.
Derrière l’acte d’acheter un nouvel appareil se cache aussi une notion aussi passionnante que diabolique : le coût d’opportunité. C’est ce dont je veux vous parler dans cet article.
Wikipédia le définit ainsi :
"Le coût d'opportunité, également appelé […] coût de substitution, coût de renonciation ou encore coût de renoncement désigne la perte des biens auxquels on renonce lorsqu'on procède à un choix, autrement dit lorsqu'on affecte les ressources disponibles à un usage donné au détriment d'autres choix. C'est le coût d'une chose, estimé en termes d'opportunités non réalisées, ou encore la valeur de la meilleure autre option non réalisée"
La partie soulignée de cette définition est clé, et je vous suggère de la relire plusieurs fois, en tout cas, c'est ce que j'ai fait pour bien m'en imprégner !
À la lumière de cette notion, le tort des marques d’appareils ne serait pas tant de faire miroiter monts et merveilles si nous achetons tel boîtier (car nous n'en serons pas meilleurs photographes pour autant, ça c'est dit et redit).
Non, le tort de cette publicité serait plutôt de ne pas nous aider à hiérarchiser nos besoins : qu'aurait-on pu faire avec cette même somme ? Bref, d'ignorer le fameux coût d’opportunité.
Or c'est logique, tout photographe à peu près sensé voudra à priori faire les choix qui lui apporteront le plus de bénéfices dans sa pratique photographique. Et pour ça, le coût d'opportunité est un bon indicateur !
Il est beau ce nouveau boîtier, mais quelle expérience de vie a-t-il remplacé ?
Pourtant, à chaque sortie d’un nouveau boîtier c’est la même rengaine : le boîtier précédent devient subitement obsolète et les tests s’égosillent sur les performances du nouveau venu.
Pour vous dire, ça n’a pas loupé avec le nouveau Sony A7 IV. Parmi les tests qui récitent la fiche technique, il y en avait un particulièrement caricatural, je vous cite un passage : « après de longs mois d’attente, il est enfin arrivé ! Sa fiche technique met l’eau à la bouche, pour autant, faut-il jeter son prédécesseur aux oubliettes. Réponse dans ce test ! »
Non mais quand même. Comme si les gens faisaient des traits sur les murs pour mieux supporter le compte à rebours !
Remarquez, ce test à au moins eu le mérite de m'avoir donné l’idée de cet article !
Et vous verrez, cet article sera très simple dans sa structure puisque nous allons réfléchir ensemble à plusieurs choses finançables à la place d’un Sony A7 IV et qui vous seront probablement plus utiles pour progresser en photographie.
Passer à temps partiel 90%
En voilà un conseil farfelu, je parie que vous ne l'aviez pas vu venir ;)
Pourtant, c’est directement lié à notre sujet.
Oui, car en n'achetant pas quelque chose, vous n'avez pas besoin de travailler pour générer la somme d’argent correspondante.
Prenons le salaire médian en France : 1940 € nets mensuels. Ce qui signifie que la moitié des Français gagnent moins, et l’autre moitié plus.
Cela nous fait 23 280€ nets annuels.
Se libérer 10% de sa charge annuelle (concrètement, une après-midi libre par semaine), c’est comme dépenser 2328€ TTC de plus par an, à temps plein. Tiens, quel hasard, c’est à peu près le prix d’un A7 IV (vendu 2800€ à la rédaction de cet article) :-)
Donc, acheter un A7 IV, c'est comme renoncer à un après-midi libre par semaine.
Oui je sais, dit comme ça, c'est un peu brutal !
En tout cas, cet après-midi libre pourrait être consacrée à faire de la photo, lire des livres, planter des radis, comme vous voulez ! Évidemment, les chiffres sont à adapter pour chacun, et oui, je sais, ce n’est pas si facile à négocier selon le pedigree de l'employeur (ne me lancez pas des cailloux dans les commentaires, je n'y suis pour rien :) ), mais je pense que vous avez compris l’idée.
Vous vous souvenez de cet exercice de chimie au collège, où il fallait déterminer le réactif limitant, c’est-à-dire celui qui allait manquer en premier et stopper la réaction chimique ?
Et bien c'est pareil en photo : si votre réactif limitant est le temps disponible, alors il serait pertinent d’essayer d'en libérer au lieu de racheter un boîtier, ça semble logique :)
Peut-être qu’un 90% vous suffira, mais un 80% c’est encore mieux évidemment si vous le pouvez !
Le défi d’user son appareil jusqu’à la corde
Est-ce que vous vous souvenez du vénérable Canon 5D Mark II sorti en 2008 ? À sa sortie, je n’avais qu’un petit compact et le 5D Mark II était littéralement le Graal photographique.
Aujourd’hui, on le trouve à 150€ d'occasion. Pourquoi ? Est-ce que la pratique photo des gens a fondamentalement changé ?
Oui dans la façon de partager ses images en ligne (avec Instagram notamment), mais non dans la façon de faire des photos en numérique. Les besoins sont en gros les mêmes, nous n'avons pas besoin de performances fondamentalement meilleures, car les scènes à photographier n'ont pas fondamentalement changé.
Il s’agit bien là d'une preuve d'obsolescence qui est majoritairement virtuelle (même s'il est agréable d’avoir moins de grain à 3200 ISO, on ne va pas se mentir). Et entre nous, je trouve ça complètement ridicule. Sans compter l'aspect écologique que nous connaissons bien.
Si vous avez un appareil reflex qui correspond encore à vos besoins actuels – comme moi avec le Nikon D750 – je vous propose de relever le défi avec moi de l’user jusqu’à la corde (ou devrais-je dire jusqu'à la casse de l'obturateur :) )
Vous avez un besoin spécifique à un moment donné ? Pas de problème, il suffit de louer un appareil plus performant. Ça va vous coûter une trentaine d'euros par jour, ce n'est pas la mer à boire.
Mon fidèle D750 en est à sa 60 000ème photo. Le défi de l’user jusqu’à la corde ne sera pas une mince affaire car l'obturateur est garanti 150 000 déclenchements. Mais au fond, il a tout juste dépassé un tiers de sa vie théorique : c'est encore un jeune trentenaire dans la fleur de l’âge ^^ Alors pourquoi le mettre en pré-retraite ?
Photographier en argentique
Ce qui est bien avec l'argentique de nos jours, c’est qu’on peut se procurer pour une centaine d'euros un appareil professionnel (des années 90-2000) avec tous les automatismes modernes, notamment en termes de mesure de la lumière et d’autofocus.
Si vous voulez, c’est un peu comme si en 2040, on pouvait acheter un Sony A7 IV pour 150 euros.
Donc si vous voulez vous essayer à l’argentique, vous pouvez trouver un Nikon F100 pour environ 200 euros. Et pour retomber sur le prix d'un Sony A7 IV neuf, il va falloir en shooter des pellicules ! Combien ? Après un rapide calcul de coin de table, probablement 90 pellicules de 36 poses, soit 3390 photos en incluant le coût du développement et du scan. Oui, ça commence à faire ;)
Le Nikon F100, un des derniers reflex argentiques commercialisé. 1500€ à sa sortie en 1999, 200€ aujourd'hui sur eBay.
Se mettre à faire des tirages
Parlons-en des tirages. Imprimer vos photos fera de vous un meilleur photographe, ce n'est pas de moi, tous les grands maîtres de la photo le disent !
C'est un sujet vaste et passionnant et vous aurez besoin de faire vos propres tests de papier pour découvrir vos goûts. Je ne vais pas développer davantage l'aspect technique ici au risque de vous ennuyer, mais si vous avez des questions j'y répondrai avec joie en commentaires :)
Pour moi, l'argument massue pour faire des tirages est de se dire "combien de temps ai-je vu telle photo en cumulé cette année ?"
Par exemple, la photo ci-dessous est accrochée chez moi et je la voie tous les jours quelques secondes. Sur une année en cumulé, ça fait plusieurs dizaines de minutes, une heure peut-être ?
Une chose est certaine, c'est toujours infiniment plus que si elle était restée au chaud sur mon disque dur. Et en plus, c'est sans compter la joie de voir la photo se transformer en objet réel, d'apprendre à apprécier les différentes textures et rendus des papiers.
Bref, j'espère vous avoir donné envie d'imprimer plus au lieu de changer de boîtier :)
Avouez qu’offrir un tirage d’une de vos photos à un proche, c’est un cadeau qui a plus de classe qu’une machine Nespresso ou qu’une Wonderbox :D
Financer une aventure
Si vous aimez les aventures de plein air, il y a une tonne d’expériences que vous pouvez largement vous payer avec beaucoup moins que le prix du Sony A7 IV.
Des expériences qui resteront gravées à vie dans votre mémoire, avec des photos exceptionnelles que vous accrocherez chez vous !
Le vol en ULM en est une. Ou le vol en parapente biplace qui a la bonne idée d’être plus écologique et plus silencieux.
Mais pour vous, c’est peut-être autre chose : faire un grand voyage, un safari photo, grimper sur un 4000m des Alpes, que sais-je ! Bref, une expérience de vie qui vous tient à cœur et que vous vous êtes juré de réaliser un jour.
Décoller en biplace de ce sommet en haut à droite ou acheter un A7 IV ?
Aller voir des expos
Pour faire évoluer sa photographie, il faut se nourrir de beau. Sous toutes ces formes : films, expositions, concerts, livres, discussions. Comme le dit si bien Etienne de la Boétie « j’aime ce qui me nourrit : le boire, le manger, les livres ».
Si vous n’habitez pas à Paris comme moi, pourquoi ne pas prévoir plusieurs séjours au cours de l’année pour faire des visites ?
C'est assez drôle car vous verrez sans doute autant d'expos qu'un parisien qui habite sur place mais qui n'a jamais le temps !
Quelques idées :
Rencontres d’Arles
Paris Photo
Expositions à la Maison Européenne de la Photo
Expositions photos/musique à la Philharmonie de Paris (un must)
…
Estimation à la louche : 100 euros de billet de train aller-retour, 10 euros d’entrée (quand c’est gratuit, ce sera votre budget café gourmand).
Ça fait VINGT CINQ expositions par ans à la place d’un A7 IV. Personnellement, si j’en fais 5 par an, je me sens héroïque :)
Une chose est sûre, vous ne serez pas le même photographe avant et après avoir vu ces expositions ! Car votre cerveau va digérer toutes ces belles choses que vous lui avez données à manger, et les infuser ensuite dans vos propres photos.
Affiche de l'exposition "MASTERWORKS OF MODERN PHOTOGRAPHY 1900-1940 The Thomas Walther Collection" - Jeu de Paume, Paris © Max Burchartz , MoMA New York.
Lire des livres photos pour élargir ses horizons
Je passe personnellement beaucoup de temps à l’extérieur, à grimper sur les montagnes. Oui oui, je sais, ça ne sert à rien, mais c’est un endroit tellement adapté pour partager des moments entre amis.
Tout est plus simple, peut-être parce qu’on doit se concentrer sur des choses élémentaires. Le problème avec la photo de montagne, c’est qu’en faisant des paysages, on se lasse assez vite. Et même si on immortalise des souvenirs forts, il y a le risque de ne faire que de la photo descriptive de paysages, et je trouve ça vraiment lassant à la longue. Vous pouvez regarder cette ancienne vidéo de Laurent du blog Apprendre la Photo qui exprime un peu cette même idée.
Pour résumer : faire plus d'images qui sont plus des interprétations de ce que nous voyons que juste des représentations (plus facile à dire qu'à faire, surtout quand on débute !)
Du coup, je me suis demandé si construire des séries pourrait m'aider à davantage développer cet aspect.
On m'a conseillé ce bouquin : l’auteur essaie de se réconcilier avec un passé douloureux en allant en montagne. Je ne peux pas vous en dire plus à l'heure où j'écris ces lignes - le livre est toujours sous blister dans mon étagère - mais je sens qu’il sera une bonne inspiration pour progresser.
Comme j’ai toujours été intrigué les gardiens de refuge et leur choix de vie assez singulier (il faut le faire pour s’enterrer dans une cabane à plus de 2500m pendant toute une saison et accueillir des gens que vous n’avez jamais vus), j’ai décidé d’aller à leur rencontre pour les photographier et comprendre ce qui les anime. Ça prendra une saison, deux saisons, 10 ans, je ne sais pas encore. L'important - et le plus difficile - c'est de commencer !
Et vous, avez-vous une thématique qui vous passionne suffisamment pour y consacrer un projet photo ? Hâte de vous lire en commentaires.
Conclusion
Vous avez remarqué, ce billet est un plaidoyer passionné en faveur de la pratique photographique ! Pour ne jamais oublier ce fameux coût d’opportunité.
C'est aussi un post-it personnel pour ne jamais oublier qu'acheter un A7 IV alors que mon appareil actuel ne me limite pas, c’est très exactement vendre du temps de pratique. Et au fond de moi, je sais que ce n’est pas ce que je veux.
D’ailleurs, je vous conseille cet article du blog de Thomas Hammoudi qui explique qu’un des moyens de lutter contre l’envie de nouveau matériel est justement de pratiquer plus.
Aujourd’hui où tous les appareils sont très performants pour la plupart des usages, on ne le dira jamais assez : libérez-vous du temps et créez-vous des opportunités photo car une bonne photo ou une série qui vous touche, c'est avant tout beaucoup de tests et de photos ratées !